Depuis 2020 des entreprises du Civraisien, plutôt petites, ont engagé une vraie démarche d’écologie industrielle territoriale. Il s’agit de réutiliser et recycler sur place les déchets professionnels pour en faire une matière première, génératrice de chiffre d’affaires. Cette action d’économie circulaire prend de l’ampleur et séduit de gros comptes en secteur rural mais aussi en ville.
Depuis plusieurs années, les élus ruraux du Syndicat mixte d’équipement rural du Sud Vienne (Simer), qui interviennent sur 87 communes du Civraisien, de Vienne et Gartempe et du Sud Châtelleraudais, sont incités à valoriser des déchets économiques. Précurseur en la matière, le Simer s'engage tôt dans l’économie circulaire et devient, en 2020, lauréat de l’appel à projets Ecologie Industrielle et Territoriale (EIT) en Nouvelle-Aquitaine.
La rencontre entre le syndicat et une dizaine d'entrepreneurs ruraux, eux aussi sensibles aux enjeux environnementaux, conduit à la création d’une association dédiée à l'écologie industrielle. « Nous arrivions, motivés, déjà lancés dans la valorisation des matériaux de chantiers, de plastique et de palettes que nos entreprises achetaient ou vendaient très loin de nos bases géographiques quand elles ne se contentaient pas de les enfouir depuis des années » se souvient Philippe Delaire, entrepreneur de travaux publics et président de l’Association d’Ecologie industrielle et Territoriale du Sud Vienne, aujourd’hui forte de 46 membres.
© J-B Gilles
Organiser le marché du déchet professionnel
La fermeture et le démantèlement de l’emblématique fabrique de meubles Duvivier à Lussac-les-Châteaux ont marqué un tournant. Face à l'ampleur du chantier, le Simer, ses déchèteries et ses recycleries sont monter en puissance dans la valorisation ou la vente des déchets professionnels collectés. Et pour cause : des dizaines de tonnes de bois, cartons, cuir et gravats ont trouvé preneur, générant plus de 10 000 euros de chiffres d'affaires. Une prise de conscience s’opère alors au sein du syndicat : ce nouveau marché doit être structuré et externalisé.
Les communautés de communes, impliquées dans ce syndicat mixte, font affaire avec le club des entreprises du Sud-Vienne, engagé dans une démarche d’écologie industrielle (EIT). « Nous bricolions chacun dans notre coin, ici, avec des cartons revendus, là, avec des gravats réutilisés » explique Philippe Delaire. Dans son secteur, la réutilisation des matériaux de chantier s’impose progressivement, d’abord pour des raisons économiques, mais aussi pour limiter l’extraction des ressources.
En 2023-2024, l’association se structure : ses adhérents s'engagent autour d'un objectif clair : échanger et réemployer les déchets professionnels, tout en générant un revenu pour ceux qui les produisent. Lucie Milon, salariée de l’association, devient la cheville ouvrière de cette dynamique. Elle lance plusieurs groupes de travail, dont un sur les plastiques qui va vite faire ses preuves.
Philippe Chaulier est le directeur du site Né-auplast, une PME spécialisée dans les pièces plastiques pour l’automobile. Les déchets sont nombreux et représentent un coût de 1 300 euros la tonne. « Nous avons cherché en circuit court des clients intéressés par nos déchets et les avons trouvés dans la signalétique horticole et agricole, le paramédical voire les syndicats des eaux » explique le chef d’entreprise qui a investi 45 000 euros dans une déchiqueteuse de plus grande capacité. « Notre job est de localiser les gisements de ces déchets pour leur utilisation dans des fabrications diverses, nous devons structurer l’offre après avoir localiser la demande des industriels » explique Lucie Milon qui sillonne le territoire du Sud Vienne tous les jours.
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Compteurs électriques démantelés
Certaines initiatives existaient déjà sur le territoire. L’Etablissement et service d’accompagnement par le travail (Esat) d’Adriers a remporté, à la fin des années 2010, un appel d’offres lancé par Soregies, le syndicat départemental d’énergies, pour le démantèlement des anciens compteurs électriques. Les salariés protégés de l'Esat se sont rapidement illustrés par leur savoir-faire : cuivre et plastique sont extraits avec minutie de chaque appareil, pour être réinjectés dans des filières de recyclage de plus en plus convoitées. En 2024, 36 tonnes de compteurs ont été démantelées (120 tonnes sur 3 sites au total), produisant de la matière plastique « première » vendue par Soregies à plusieurs sociétés, dont Né-auplast.Cette dernière a d’ailleurs conçu pour Soregies quelque 2 500 clés de compteurs en plastique recyclé.
La boucle vertueuse se poursuit avec la société Plantco (à Civeaux), spécialisée dans le plastique horticole. fElle confie ses déchets aux équipes de l’Esat, qui les transforment en sacs XXL destinés à la collecte des déchets verts. Même logique de réemploi du côté de la centrale nucléaire de Civaux, qui remet à l’Esat ses anciens vêtements de sécurité : ils y sont reconvertis, entre les mains de couturières en situation de handicap, en sacs à dos professionnels robustes et durables.
« Nos équipes sont motivées par ce travail de précision qui a du sens car elles sont un maillon essentiel de cette nouvelle économie circulaire », se félicite Virginie Dely, chef de pôle à l’Esat André Rideau. « Nous avons des entreprises motivées, des gisements bien identifiés et une fierté collective à nous engager dans cette démarche territoriale associant public et privé », se félicite Philippe Delaire. Homme de terrain autant que chef d’entreprise, il préfère avancer avec méthode plutôt que de précipiter les choses. L’association, qui compte aujourd’hui près de 50 membres actifs, explore de nouvelles pistes autour de la valorisation des déchets agricoles ou hospitaliers.
Philippe Delaire rêve aussi de disposer d’une matériauthèque pérenne et dédiée à l'achat et la revente de déchets professionnels. Un projet ambitieux, dont le besoin de financement est estimé entre 350 000 et 700 000 euros. euros.
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De gros acteurs s’impliquent
En 2022, les Mutuelles de Poitiers ont inauguré un nouveau bâtiment, doublé d’une réfection des parkings qui en avaient bien besoin. Pour ce chantier, les mutuelles l’entreprise a délibérément écarté l’usage de béton bitumineux, privilégiant une solution plus respectueuse de l’environnement : des dalles alvéolaires de seconde vie, fixant une sous-couche de matériaux, recouvertes de gravillons. Objectif : limiter l’imperméabilisation des sols, améliorer l’écoulement des eaux et s’inscrire dans une démarche esthétique et durable. C’est à nouveau la société Plantco de Civeaux qui a fourni, ici, ces éléments de récupération d’un ancien chantier de rénovation de réseaux d’eau potable, produit conçu pour l’occasion et certifié.« Ce n’était pas vraiment moins cher pour nos 150 places de parkings mais nous avons fait le choix de la préservation de la biodiversité dans ce chantier », explique Anne-Sophie Fraissinet, la directrice général adjoint des Mutuelles.
Un signal fort, qui confirme que l'EIT du Sud Vienne a bel et bien franchi un cap. « Elle arrime le nécessaire développement économique aux nouvelles obligations sociétales », estime Cécile Forgeot, référente Vienne pour l’Ademe. Avec ses partenaires de la Région Nouvelle-Aquitaine, elle a contribué à obtenir un nouveau financement de deux ans, destiné à accompagner la structuration de la démarche via un poste dédié.
L’association explore aujourd’hui de nouveaux gisements prometteurs. Avec le syndicat des eaux de la Vienne, adhérent à l’association, près d'une tonne de vêtements professionnels usagers ont été recyclés : « Il s’agissait de textile professionnel fluorescent en fin de vie enfouis jusque-là », explique Nathalie Lancelot, responsable de l’environnement dans ce syndicat. Des casques de chantiers ont suivi le même chemin du réemploi, ce sera bientôt pour des harnais et des longes de sécurité. Des compteurs usagers pourraient aussi bientôt être démantelés et recyclés sur place plutôt que vendus à la ferraille en Belgique. « Recycler et réemployer sont nos deux axes de travail désormais », explique Alain Guillon, le vice-président du syndicat des eaux de la Vienne.
Dernier allié de poids : le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers, fort de ses 8 000 salariés. Engagé depuis 2000 dans une stratégie de seconde vie pour ses équipements, il rejoint la dynamique de l’EIT. Gaines de tête de lit, lampes, luminaires d’extérieur, emballages plastiques souillés, tenues à usage unique, masques... le CHU génère un flux continu de déchets professionnels, majoritairement plastiques.: « Nous souhaitons nous intégrer dans des circuits locaux pour un meilleur impact territorial », explique Frédéric Marchal, le directeur du patrimoine, des constructions et de la transition écologique. Le CHU produit, depuis ses 5 sites (Montmorillon, Lusignan, Châtellerault, Loudun et Poitiers), quelque 3000 tonnes annuelles de déchets, l’équivalent d’une ville de 5 500 habitants. « On sait éliminer en grande masse mais aujourd’hui les objectifs sont à la valorisation et au réemploi », conclut Ludovic Blanchier, coordinateur environnement au CHU. Avec ce nouveau partenariat, l’EIT du Sud Vienne trouve un relais puissant, capable d'élargir son ancrage sur l’ensemble du département.
Au total en 2024, ce sont plus de 1 400 tonnes de déchets économiques, tout flux confondus qui ont été détournées de la benne par les acteurs de cette démarche d’écologie industrielle territoriale. Pas mal !