Andilly-les-Marais, commune de Charente-Maritime, a déployé trois éoliennes en un temps record. Ce projet à 34 millions d'euros porté par des citoyens, majoritaires au capital, fait office d'OVNI dans le paysage. La gouvernance publique-privée de ce projet XXL emblématique obéit à des règles précises. Décryptage.
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On ne risque pas de les manquer sur cette route d’Aunis à quelque 15 kilomètres au nord Est de la Rochelle. Il est vrai que ces trois éoliennes se détachent nettement, à 120 mètres du sol, et tournent déjà au gré du vent puisque c’est leur vocation. Encore en phase de réglage, elles promettent une production annuelle voisine de 50GWh, l’équivalent de la consommation de 10 600 foyers. Un parc de très bonne capacité, conçu et piloté sur le plan technique par la société girondine Valorem, un des gros acteurs français des énergies renouvelables.
« Il est le fruit d’une démarche citoyenne rare à cette échelle et d’un authentique partage de la valeur entre notre société et le territoire » résume Mathieu Bernard, directeur du développement de Valorem en Nouvelle Aquitaine. Valorem a mis 51 % de la mise initiale mais ce sont les citoyens et les collectivités locales qui ont la majorité dans la gouvernance. Le projet a été bouclé en 6 ans contre dix ans en moyenne quand ils vont à leur terme.
Une gouvernance publique-privée originale
En 2014, Sylvain Fagot attaque avec sa jeune équipe municipale son second mandat à Andilly-les-Marais (2300 habitants). Il apprend que des promesses de bail sont signées avec des porteurs de projets éoliens. Logique car la communauté de communes d’Aunis Atlantique, qui jouxte le parc régional du marais poitevin, a fait de ce secteur une zone de possible de projets dans son schéma de développement éolien. L’élu veut prendre la main sur le sujet et surtout agir en toute transparence vis-à-vis de sa population.
La commune lance un appel à manifestation d’intérêt en 2017. Sept groupements y répondent dont Valorem. Mais le maire n’est pas un spécialiste de ces questions et souhaite, parce « cela avait du sens », une participation citoyenne à ce projet énergétique dont les contours restent alors à définir. Une association militante de ces projets participatifs va apporter aux élus la solution : trouver un actionnariat associatif et citoyen pour épauler l’opérateur privé retenu.
Parallèlement à la procédure d’appel d’offres national, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) valide, en 2020, le projet d’Andilly et un prix de rachat de l’énergie produite sur 20 ans. « A nous l’énergie renouvelable et solidaire 17 » va, deux années durant, mener un gros travail d’explication sur le projet : réunions publiques, communication sur la participation financière des citoyens à ce projet. « Grâce à eux nous avons choisi parmi les options plutôt que les subir et avons imaginé ensemble une gouvernance publique-privée particulièrement originale » se souvient Sylvain Fagot.
Le 17 mai 2022, la Société coopérative d’intérêt collectif COOPEC (Scic) est créée. Elle rassemble alors plus de 115 sociétaires, citoyens, collectivités, associations. Ils sont aujourd’hui 375 ! Son premier président, bénévole, est Bertrand Cardinal, un ingénieur thermicien qui a travaillé dans les grands groupes de l’énergie avant de créer son cabinet conseil à La Rochelle. Il connait lui aussi la musique. C’est cette société qui va faire les grands choix techniques, porter son financement avec les deux actionnaires privés et co-gérer la gouvernance de l’ensemble : un partenariat public-privé citoyen ! Car aux cotés de Valorem, qui détient 51 % du Parc éolien d’Andilly les Marais, et de la Coopec qui apporte 31 % de l’investissement initial grâce à ses sociétaires et à une levée de fonds , un nouvel acteur entre dans le projet à hauteur de 16 % : la société Terra Energies, un fonds d’investissement où le Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine est l’actionnaire de référence aux cotés de la Banque des Territoires, et dont le métier est de sécuriser le financement de projets d’énergie renouvelables sur toute la Région en y prenant part.
© COOPEC
Des retombées pour le territoire
Dans ce type de projets, il faut investir lourdement au début pour assurer pendant 20 ans le remboursement des emprunts et la maintenance des éoliennes. C’est avec un groupement bancaire conduit par la BPCE et le Crédit Coopératif que les associés font affaire. Les actionnaires déboursent 3,8 millions d’euros de fonds propres au prorata de leur part de capital social et empruntent le reste selon les mêmes proportions. Quid du citoyen dans ce montage ? D’abord, et ce n’est pas tous les jours, la Coopec va obtenir 3 voix dans le comité de pilotage contre une voix pour Terra Energies, et une voix pour Valorem, plus habituée à être l’unique décideur dans les projets qu’elle conçoit et finance pour la plus grosse partie. « C’est une démarche rare mais nous sommes en confiance avec nos interlocuteurs, engagés dans le partage de la valeur avec le territoire et sécurisés par un pacte d’associés qui précise bien les règles sur les sujets les plus sensibles » précise Mathieu Bernard. On n’investit pas 34 millions d’euros par des décisions à main levée à 300 !
« Il y a des sujets centraux comme les tarifs, les appels de fonds ou les changements de contrats d’approvisionnement où le pacte d’actionnaires requiert l’unanimité » précise Mathieu Davril, directeur de Terra Energies qui joue dans ce trio d’associés un rôle utile de médiateur de l’intérêt de toutes les parties. Mais la Coopec prend son rôle citoyen très aux sérieux. Déjà la concertation avait, en amont, favorisé la solution technique de trois pâles plus hautes et à plus forte capacité (5 étaient prévus au départ) mais à moindre impact foncier. La Coopec a pesé en faveur de la proposition technique de la très sérieuse société danoise Vestas, en insistant sur le moindre impact sonore de ces éoliennes d’un nouveau genre. La procédure environnementale prévoyait l’aménagement de 600m de haies en compensation, près de 900m seront déployées. « La décision a fait facilement consensus » se souvient Bertrand Cardinal.
© COOPEC
« L’énergie produite par un parc éolien coopératif serait alors vendue par un opérateur qui est lui aussi une coopérative, la boucle serait bouclée » se félicite Bertrand Cardinal.
En juin 2023, tous les associés perçoivent une prime de développement comme c’est l’usage dans ce type de projet, dès qu’il est bouclé sur le plan financier et qu’il a donc trouvé ses banquiers. La Coopec, ses sociétaires, la Communauté de Communes et la mairie d’Andilly ont signé une convention de transfert pour que la part de cette prime qui leur revenait soit versée chaque année à un fonds local dédié à l’énergie. Il financera des formations aux économies d’énergie sur le territoire, des aides aux diagnostics, des opérations très concrètes de lutte contre la précarité énergétique ou des actions de promotion de la mobilité électrique : environ 63 000€ par an pendant 25 ans. « La concertation citoyenne avait permis de gagner du temps, ces retombées pour le territoire ont achevé de convaincre les derniers sceptiques » assure Jeanne Morice, chargé de mission Tepos à la Communauté de Commune.
Dernier sujet et non le moindre : le client final de l’électricité produite par le parc éolien. Il pourrait changer. Dans l’accord initial de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), c’était EDF. Un plan sûr pour les banquiers prêteurs des 30 millions d’euros de ce projet à 34 millions. A l’initiative de la Coopec et de l’Association « A nous l’énergie 17», des discussions sont menées depuis quelques mois avec Enercoop, un autre acteur national, plus petit que les majors des énergies renouvelables en France, et qui n’achète et revend que de l’énergie produite par des coopératives. Un plan moins sûr pour les banquiers, qui ont relevé leurs exigences de garantie, que les partenaires du projet et le futur acheteur sont sur le point de satisfaire. « L’énergie produite par un parc éolien coopératif serait alors vendue par un opérateur qui est lui aussi une coopérative, la boucle serait bouclée » se félicite Bertrand Cardinal. Le projet éolien d’Andilly ne ressemble décidément à aucun autre !