Vous naviguez en mode anonymisé, plus d’infos

Des enfants regarde une femme qui parle devant des presses d'imprimerie
Temps de lecture 8 minutes
actualité

Le Moulin du Got, musée vivant du papier

territoire

Monts et Barrages

A Saint-Léonard-de-Noblat (Haute-Vienne), des passionnés ont redonné vie au moulin du Got, un lieu magique où se fabrique du papier depuis 500 ans. Devenu pôle régional de l’histoire des métiers de l’imprimerie, ce musée est une pépite du tourisme des savoir-faire.

Publié le mardi 10 septembre 2024
  • #Équipements culturels
  • #Patrimoine et inventaire
  • #Tourisme

La nouvelle marque touristique « Limousin nouveaux horizons » offre de nouvelles perspectives à Saint-Léonard de Noblat, dont la collégiale et son déambulatoire sont, depuis des siècles, une étape renommée de la voie de Vézelay des chemins de Saint Jacques. Et sur cette route de Limoges à Aubusson, où le tourisme des savoir-faire, de la porcelaine ou des arts du feu à la tapisserie, sont des valeurs reconnues, le petit moulin du Got, pôle régional de la papeterie et des arts graphiques, figure enfin sur les bonnes cartes de ces détours estivaux. Et c’est peu de dire que ce petit bijou d’un tourisme des savoir-faire en plein boom le mérite.

Le dernier moulin à papier de Haute-Vienne

Le moulin du Got est le dernier moulin à papier du Limousin. Ici, à la confluence de la Vienne et du Tard, à trois kilomètres de la collégiale millénaire, il est le dernier témoin aujourd’hui très actif d’un passé où la commune était le premier pôle papetier de la Région : 24 moulins, employant plus de 400 personnes, approvisionnaient au XVIIIe siècle, marchés, commerçants et négociants en huile, farine, tan (écorce de chêne) et papier. Depuis la fin du XVe siècle, le moulin du Got produit du papier chiffon (chanvre et lin recyclé) très apprécié des éditeurs parisiens, du papier paille (de seigle) pour l’emballage technique et du papier carton pour, par exemple, les chevaux à bascule et les masques de carnaval.

Directrice du Moulin du Got
Marie-Claire Cluzel nous montre la pâte à papier, avec la cuve et le tamis utilisés au siècle dernier.

L’activité décline avec la révolution industrielle puis avec l’avènement plastique : « La bourgeoisie de Saint-Léonard n’a pas cru au développement de l’industrie papetière et c’est Saint Junien qui va concentrer les nouveaux investissements », explique Martine Tandeau de Marsac, historienne et présidente de l’association Connaissance et Sauvegarde de Saint-Léonard, passionnée par ce moulin, qui a cessé toute activité en 1954, et qui fut propriété de sa famille il y a bien longtemps. Avec quelques passionnés, autour des années 2000, elle entreprend de redonner vie à ce lieu. Car outre sa localisation, ses jardins au fil de l’eau et sa structure XIXe très caractéristique, il recèle un véritable trésor : il a conservé ses machines et une bonne partie de ses outils. Meuletons, piles hollandaises, machines à forme ronde, cuves et tamis de fabrication de la pâte à papier sont toujours là. La commune de Saint-Léonard rachète le moulin que l’association valorise. Avec l’aide de la Région, de l’Etat, de l’Europe et de mécènes dont le Crédit Agricole Centre Ouest, Ondéo et la Fondation du patrimoine (environ 100 000 euros de budget total), le moulin est remis progressivement en état, ses machines en ordre de marche, les circuits de pâte réactivés. En 2000 une production papetière artisanale redémarre donc. Comme il y a 500 ans.

Machines imprimerie Moulin du Got

De vieilles machines d’imprimerie en renfort

Mais ce n’est pas tout. Des professionnels de l’imprimerie, retraités ou en fin d’activité décident de contribuer à cette renaissance. Début 2000, ils apportent au moulin des équipements d’imprimerie : une vieille machine linotype, une presse à l’ancienne, un massicot d’époque, une machine à imprimer offset. Pierre Villoutreix est issu d’une famille de libraires de Haute-Vienne, imprimeur et longtemps éditeur de la Nouvelle Abeille de Saint Junien. Camille Montibus, imprimeur à Saint Léonard et meilleur ouvrier de France et René Saliedo, mécanicien linotypiste et rotativiste au Populaire du Centre pendant 25 ans. Tous sont de la partie. Ils s’occupent de la formation de jeunes à ces métiers (et à ces machines) d’un autre âge. « Ce sont des métiers complexes, mécaniques, qu’il convient de transmettre à un public aujourd’hui converti au numérique », explique René Salsedo, 78 ans, qui poursuit ponctuellement ses démonstrations, les yeux embrumés par l’émotion à voir les jeunes reproduire des gestes quotidiens qu’il a appris de son père qui a travaillé après-guerre au journal Combat. La magie du Moulin du Got est d’avoir rassemblé deux univers, la fabrication du papier et l’impression, en un seul lieu.  « C’est une rencontre de vieux passionnés qui ont transmis leur savoir-faire à des plus jeunes qui entretiennent cette flamme », se félicite Pierre Villoutreix, membre fondateur de l’association. Aujourd’hui se superposent au Moulin du Got sur deux étages plusieurs époques de la production papier, ce qui ravit les visiteurs, jeunes et moins jeunes.

Le Moulin a la capacité de produire en maitrisant toute la chaîne des petites séries d’impression de menus ou de cartons d’invitation par exemple sur des papiers avec des fibres « légumes ». Une petite mais très utile source de revenus. La municipalité n’a cessé de soutenir depuis 15 ans et de bichonner ce Moulin et ses abords pour améliorer son attractivité : passerelle, séchoirs, atelier pédagogique. Stagiaires, scolaires et visiteurs de tout profil viennent profiter de ces démonstrations qui s’enchaînent en petits groupes plusieurs fois par jour. Pas moins de 16 000 en 2023 venus de la Vienne, de l’Indre, et du Limousin surtout. Depuis 21 ans, Marie-Claire Cluzel, la directrice éclaire ce lieu magique de son dynamisme, de sa foi dans l’écrit et de sa bienveillance. Les enfants comme leurs parents ou grands parents ont la lumière dans les yeux devant ces ateliers qui s’enchainent à la bonne saison.

Des professionnels de l'imprimerie retraités qui partagent leurs savoirs
D'anciens professionnels de l'imprimerie reviennent transmettre leurs connaissances.

En quête de mécénat

Le moulin emploie 6 personnes tout aussi passionnées, pour un budget annuel de 300 000 euros, autofinancée à 93 %, loin, très loin des budgets d’équipement similaires. Plus de la moitié vient de la billetterie, un peu moins de la boutique et de la production de petites séries. « Notre principal problème est celui de l’espace intérieur qui est ici contraint », explique la directrice. Le nombre de visiteurs pourraient croître encore mais pas beaucoup au-delà de 25 000 visiteurs. Le moulin pourrait accueillir des séminaires d’entreprises régionales mais sur un autre lieu, à construire, car il ne dispose que d’un atelier d’animation pédagogiques auquel il ne renoncera pas, « c’est notre mission », défend Marie-Claire Cluzel. C'est pourquoi l'association est en quête de mécénat pour la rénovation d’une machine à papier du XIXe siècle, sans doute une des plus anciennes d’Europe, qui fonctionnait encore il y a peu (budget de 150 000 euros). La production d’énergie renouvelable à partir de la ressource en eau omniprésente est une autre piste. Les aménagements des jardins autour du moulin offrent aussi des opportunités de développement. Une réflexion est en cours avec le CAUE 87 (conseil d'architecture, d'urbanisme et d'environnement).

Chaque année, les équipes du moulin produisent une exposition de grande qualité sur un thème liée au papier bien sûr avec les moyens du bord. Depuis le premier avril, l’exposition sur les monstres de papier, une production maison à 100 %, étonne par la qualité de sa mise en scène et des oeuvres proposées. Le lycée Raymond Loewy de la Souterraine, à une heure de route, spécialisé dans le design, est un des partenaires du Moulin. Il y envoie régulièrement des stagiaires. L’un deux a découvert la scénographie en carton au printemps. «Nous avons depuis de années un véritable coup de coeur pour ce moulin et nos étudiants y sont très attachés », explique Alexandra Debonnaire, enseignante en design d’espace. Entre Limoges et Aubusson, ce lieu d’histoire et de promotion de savoir-faire historiques ne demande qu’à poursuivre son développement.

Exposition papier Moulin du Got
L’exposition annuelle, préparée par le Moulin, qui a pour thématique cette année les monstres de papier
Exposition papier Moulin du Got
Exposition papier Moulin du Got