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vue générale d'un lycée
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actualité

La fusion réussie du lycée Lot-et-Bastides

territoire

Vallée du Lot et Bastides

En 7 ans d'existence, le lycée Lot-et-Bastides de Villeneuve-sur-Lot a su conjuguer les ingrédients pour se rendre attractif, entre activités culturelles et sportives, projet éducatif solide avec une carte des formations multiple et cadre bienveillant. Issu d'une fusion des lycées Georges Leygues et Louis Couffignal, il est solidement ancré dans le territoire. Récit d'une réussite.

Publié le lundi 24 juin 2024
  • #Formation professionnelle
  • #Éducation et formation
  • #Lycées
La fabrique des territoires

Partout sur les territoires essaiment des projets, des initiatives, qui dessinent et façonnent notre région. Tourisme, agriculture, industrie, biodiversité, énergies renouvelables, culture, économie sociale et solidaire… Pour monter comment naissent les projets, comment ils sont portés et accompagnés, nous avons choisi de vous présenter 12 récits de l’origine à la réalisation. A travers cette série, nous voulons montrer comment un projet peut se concrétiser grâce à l’énergie de multiples acteurs.

Proviseur
Le proviseur du lycée accueille élèves et famille aux portes ouvertes de l'établissement.

Ce vendredi de mars, Gérard Duzan est sur le pied de guerre. Le costume bien droit, la cravate impeccable, il attend le client ainsi que toute la communauté éducative. Les parents du Villeneuvois et leurs enfants en quête d’une formation courte ou longue seront quelques 300 à franchir le portail sur les deux jours du début du week-end portes ouvertes du lycée Lot-et-Bastides.

Ce navire éducatif rassemble 1600 élèves, 250 salariés dont 170 professeurs. Le lycée public est l'emblème du Villeneuvois, issu de la fusion dans les années 2010 du lycée d’enseignement professionnel Couffignal et du lycée d’enseignement général et technologique Georges Leygues. Gérad Duzan, proviseur « à l’ancienne », est un habitué des missions délicates dans l’académie de Bordeaux. « Il y avait ici un gros travail d’apaisement, de réunification de deux communautés éducatives qui se tournaient le dos, de renouveau de l’offre de formation et d’ouverture de ce lycée sur les besoins de son territoire », rappelle Jean-Louis Nembrini le vice-président en charge de l’éducation au conseil régional qui siège au conseil d’administration. La mission a été remplie en agissant sur 4 fronts simultanés. « Seul je n’aurai pas fait grand-chose », rappelle Gérard Duzan.

La carte des formations, mère de toutes les batailles

Il est passé le temps où le lycée Couffignal fournissait une main d’oeuvre qualifiée aux entreprises du BTP du département du Lot-et-Garonne. « Nous formions jusqu’à 50 maçons par an, se souvient Francis Foulou, aujourd’hui enseignant en génie civil, et des CAP de forgerons et métalliers ». Le métier a évolué, les modes de recrutement aussi, le lycée a su moderniser son offre : place à de nouveaux bacs techniques d’étude du bâtiment et à un nouveau BTS en économie de la construction. « Nous sommes devenus plus ambitieux pour répondre aux nouveaux besoins », confirme l’enseignant. De nouvelles formations de sciences techniques de l’ingénieur ont également émergé en lycée technologique. Orientées numérique et systèmes et mesures, elles peinent encore à convaincre les jeunes. Pourtant, l’équipe éducative se bouge en organisant des journées de l’innovation depuis 2023 dans les quatre collèges du secteur. Mais les métiers auxquels ils préparent sont loin du Villeneuvois.

En revanche, carton plein localement pour les nouvelles formations dédiées aux métiers de la logistique ouvertes il y a 4 ans. Plus de 60 élèves y suivent les cours du CAP au bac professionnel cette année, en lien avec les entreprises, dont Gifi. Un diplôme supérieur (TSMEL) de management d’un entrepôt est en gestation avec le Greta. Il offrira jusqu’à 5 mois d’expérience en entreprise. Toutes sont preneuses sur le secteur. La logistique est la filière qui monte au lycée. Le nouveau CAP logistique et primeurs a fait le plein cette année. Enfin, l’établissement affiche fièrement son bac sciences et technologies du design et des arts appliqués, une des trois filières les plus en vue de l’académie d’Aquitaine. Elle recrute au-delà du département aujourd’hui : « les métiers d’art, de la création, du design, du graphisme, de la vidéo ont aujourd’hui le vent en poupe chez les jeunes », confirme Lydia Clerville, une des quatre enseignantes trentenaires de cette filière qui a rencontré un grand succès aux journées portes ouvertes. Une filière d’économie créative qui détonne avantageusement sur le territoire parmi des activités industrielles parfois en déclin.

Eleves
Les élèves de la filière très recherchée sciences et technologie du design et des arts appliqués.

L’ouverture aux entreprises

Un souffle nouveau, plus entrepreneurial souffle sur le Lycée de Lot-et-Bastides depuis quelques années, signe d’un nouvel ancrage. « Il était nécessaire de relier ces deux mondes, celui de l’éducation et de l’entreprise, par des interventions, des présentations, des projets communs », assure Gérard Duzan. L’implication de l’entreprise Gifi, créée en 1981 à Villeneuve, dans la convention locale école entreprise actée en 2023, en est la traduction la plus tangible : « Nous avons besoin de stagiaires et d’alternants, bien sûr, mais aussi de faire connaître la grande variété de nos métiers dans les achats, le juridique, les RH, les finances », explique Marion Quenot, la jeune chargée de mission RH de Gifi. L’entreprise, qui emploie plus de 600 personnes sur son siège social villeneuvois, investit aussi dans sa marque employeur, et mise sur un retour de ces jeunes formés vers elle, après d’autres expériences loin de Villeneuve. Clotilde Chatelet dirige une agence immobilière importante sur la ville. Elle a trois enfants dans le lycée et accueille elle aussi un stagiaire chaque année. Elle siège au conseil d’administration du lycée et se mobilise ainsi que d’autres entrepreneurs, réunis autour d’un groupe What’s app, pour la promotion du lycée et de ses formations au sein des collèges. « Nous avons les bonnes formations aujourd’hui pour attirer les élèves et ce lycée public est un accélérateur de réussite dans un creuset de mixité sociale », explique Clotilde Chatelet, qui ne supporte plus d'entendre des chefs d’entreprises se plaindre des difficultés de recrutement en restant inactifs.

Les projets culturels et sportifs

Les nombreux projets culturels et sportifs animent la communauté éducative qui comprend plus de 500 internes. Du journal de lycéens « les Dérangés », piloté, trois fois par an, par les deux professeurs documentalistes, référentes culturelles de l’établissement, aux sorties au festival d’art contemporain de Montflanquin, Pollen ; du book club conjoint avec la librairie Livresse de Villeneuve, mais aussi du stage d’escalade à vocation géologique de 5 jours dans les Pyrénées ariègeoises à la découverte de très nombreuses entreprises du Lot-et-Garonne avec la CCI et le Conseil départemental, du projet humanitaire et logistique au Nord Sénégal, à l’atelier théâtre de 3 heures par semaine en lien avec trois troupes locales… La liste des sports et activités culturelles proposées est longue. Le projet le plus remarquable est sans doute la participation de 21 garçons et filles à la coupe d’Asie de volley-ball scolaire à Kualalumpur (Malaisie) en janvier 2023 pendant 15 jours. Une participation financée pour une partie par la mairie, l’école, les familles (des bourses ont été accordées) et un maximum de système D inventif et mobilisateur. « Nous devons plus ici qu’à Bordeaux ou ailleurs ouvrir le maximum d’horizons à ces jeunes , c’est notre mission sociale autant qu’éducative », plaide Gérard Duzan, qui n’a pas son pareil pour trouver les financements.

Deux femmes dans une bibliothèque tiennent un fascicule en souriant.
Les deux documentalistes du lycée qui animent la publication du journal lycéen Les dérangés.

Un règlement ferme pour mieux vivre ensemble

Malika (le prénom a été changé) ne veut pas être en retard pour la reprise des cours de l’après-midi. Elle retire son voile qu’elle replie méticuleusement dans son sac, ajuste ses deux boucles d’oreille et franchit le portail. Le port du voile est interdit dans l’enceinte de l’établissement, comme tous les autres couvre-chefs à l’intérieur des locaux. Depuis deux ans, le nombre de jeunes femmes arrivant voilées est passé d’une dizaine à une bonne trentaine. Leurs familles ont tenté de faire pression. Mais le proviseur est resté ferme. Sur ce sujet comme sur d’autres, relatifs à la violence entre jeunes ou à des harcèlements via les réseaux sociaux, le règlement est strict. Le lycée prononce parfois des exclusions. « Notre mission première est de protéger toute la communauté éducative », explique Gérard Duzan. Force est de constater qu’une atmosphère plutôt bienveillante émerge de ce lycée où la mixité sociale, la diversité des origines et celle des cursus pourraient y faire obstacle. Le site, étalé sur deux sites avec de nombreux espaces verts incite à la quiétude. Ensuite, tout le monde se connait ici : « nous sommes en milieu rural. Il y a moins d’embrouilles car il y a moins d’anonymat », note Sarah en seconde générale. « Il arrive que des bagarres éclatent et c’est parfois chaud-chaud », note Bertrand, conseiller d’éducation, « mais c’est vraiment l’exception ». Et puis les adultes sont nombreux et présents toute la journée auprès des élèves, et soucieux que ce vivre ensemble perdure. Les professeurs apprécient que désormais (cela n’a pas été toujours le cas dans le passé), leur point de vue prime, puis celui des élèves, enfin celui parents en cas de conflit. Une belle manière de fédérer et d’apporter de la sérénité.

L'éducation et la jeunesse investissement d'avenir

Guillaume Lepers est le maire de Villeneuve-sur-Lot depuis quatre ans. Son fils est lycéen dans l’établissement. Il a pu mesurer l’impact de ces changements comme parents d’élève mais aussi comme élu local. « Nous avons ici la démonstration qu’avec un accompagnement personnalisé on a toutes les raisons d’investir sur notre jeunesse. C’est comme si notre territoire était en passe de gagner le deal passé avec son lycée », explique-t-il. La ville n’entend pas en rester là. Elle sait les difficultés financières de nombreuses familles, un bon tiers, pour les poursuites d’études, à Agen, Périgueux, Toulouse ou Bordeaux. Une impossibilité souvent intégrée par contrainte (ou interdit) sociale ou familiale par des jeunes très talentueux. Aussi elle mise, avec l’aide de la Région, sur son nouveau campus connecté (260 étudiants), qui permet de suivre à distance des cursus de BTS mais aussi des cours de premier cycle de langues, d’économie et de droit délivrés par les universités de Toulouse, de Montpellier et de la Sorbonne, une première dans la Région. Pour Villeneuve et son lycée, où le taux de chômage fleurte encore avec 9 %, le taux de pauvreté avec les 18 % et où les problématiques de formation et de mobilité sont bien identifiées comme des freins au développement alors que des secteurs d’activité peinent à recruter, l’éducation et la formation sont définitivement des investissements d’avenir.