Vous naviguez en mode anonymisé, plus d’infos

Un homme souriant dans un champ de blé vert
Temps de lecture 9 minutes
actualité

Herriko, renaissance de la baguette basque

Pour débuter notre série de récits sur la fabrique des territoires, nous avons choisi de raconter le renouveau du blé basque. Agriculteurs, meuniers et boulangers du Pays-Basque ont relancé il y 10 ans une production de blé que la culture de maïs avait supplanté depuis 50 ans. La baguette 100 % basque aujourd’hui commercialisée est un bel exemple de relocalisation d’une filière alimentaire complète. Autant qu’une démarche collective solidaire.

Publié le lundi 3 juin 2024
  • #Économie territoriale
  • #Agriculture
  • #Agroalimentaire
La fabrique des territoires

Partout sur les territoires essaiment des projets, des initiatives, qui dessinent et façonnent notre région. Tourisme, agriculture, industrie, biodiversité, énergies renouvelables, culture, économie sociale et solidaire…. Pour monter comment naissent les projets, comment ils sont portés et accompagnés, nous avons choisi de vous présenter 12 récits de l’origine à la réalisation. A travers cette série, nous voulons montrer comment un projet peut se concrétiser grâce à l’énergie de multiples acteurs.

Philippe Bégards est boulanger sur l’agglomération littorale basque. Il gère trois boutiques et emploie 25 personnes. Il est plutôt fier, à juste titre, de sa baguette Herriko (ou local). Elle est issue d’un blé produit en Pays basque. Avec ses boulangers il la bichonne. Elle n’est pas bio mais la farine est sans adjuvant. Sel, eau et levure suffisent à sa fabrication. Son pétrissage est plus lent, son pointage retardé (première fermentation dans le pétrin) lui garantit un bel arôme et les clients l’adorent.

Un boulanger montre une baguette de pain
Philippe Bégards, boulanger à Bayonne, créateur de la baguette Herriko.

La relance du blé basque

Il faut dire qu’il leur garantit une parfaite traçabilité. Philippe Bégards était parmi les premiers - boulangers, meuniers et agriculteurs - à réfléchir, au début des années 2010, à la relance d’une filière blé 100 % basque. Et il ne le regrette pas. Cette culture que pratiquait pourtant les anciens il y plus de 50 ans avait disparu des paysages du Pays basque intérieur, détrônée par celle du maïs, plus rémunératrice.

La réflexion pour la réintroduction du blé est lancée par EHLG (Euskal Herriko Laborantza Ganbara), une association pour la promotion d’une agriculture paysanne en Pays-basque : « Notre ADN est la relocalisation de l’économie car nous ne produisons ici moins de 10 % de ce que nous consommons c’est pourquoi nous nous battons pour une plus grande autonomie alimentaire », explique Iker Elosegi, coordinateur à EHLG qui organise donc à Saint-Palais la première réunion. Deux meuniers, quatre boulangers et une poignée d’agriculteurs sont autour de la table. Chacun se rend alors bien compte que rien ne se fera sans un accord collectif consenti. La partie n’était pas gagnée : les rendements en blé sont, c’est une moyenne, de 50 quintaux à l’hectare en Pays basque, loin de ceux du Gers, du Lot et Garonne et de Poitou-Charentes. Il faut donc garantir un prix d’achat à l’agriculteur suffisamment attractif pour le convaincre de consacrer quelques hectares au blé. Au prix mondial à la tonne c’est impossible : « Nous avons tous consenti un effort sur nos marges car sans producteur pas de blé basque », se souvient Philippe Bégards qui insiste sur la primauté de la démarche collective locale. Pour relancer cette filière les acteurs de la filière se sont entendus sur un cahier des charges raisonnée : « Pas d’insecticides, pas de glyphosate avant culture, un apport limité en azote », résume Emmanuel Recalde, agriculteur à Behasque-Lapiste, qui a rejoint la démarche il y a quelques années et qui cultive 10 hectares de blé chaque année.

Un homme montre des grains de blé à côté d'une machine

Des meuniers qui résistent

Des deux meuniers au départ de cette aventure, il n’en reste aujourd’hui qu’un : la maison Etché Moulins de Soule à Mauléon, créé en 1854, qui a produit sur le gave pendant des décennies mais le moulin a brûlé en 1947. Le grand père d’Arnaud Etchegoyhen, le gérant actuel, a installé la minoterie en ville. Elle fonctionne à l’électricité. « Il faut savoir que la farine voyage de plus en plus et que les grandes entreprises du secteur sont très offensives sur tous les territoires », explique Arnaud Etchegoyhen. Les petites meuneries disparaissent peu à peu. Il y en avait 7 dans les Pyrénées-Atlantiques, une seule aujourd’hui, l’entreprise familiale dont il a, à son tour, la responsabilité. Etché fait partie des quelques 200 meuneries moyennes indépendantes (6 millions d’euros de CA) qui résiste en France à cette concentration. L’entreprise a investi lourdement, 1 million d’euros, dans un nouveau process, a développé une solide diversification dans l’alimentation animale dont elle se félicite et s’est investie dans cette action de niche avec un rôle central : « En fait les boulangers et les agriculteurs ne se parlent jamais et ignorent les contraintes de chacun », explique-t-il. Le patron des Moulins de Soule est optimiste sur le développement de la filière Herriko Ogia.

Retour de la baguette et réchauffement climatique

Le cluster Uztartu qui est l’animateur opérationnel de cette action collective et le propriétaire de la marque « Herriko Ogia » estime à une quinzaine de producteurs et à une cinquantaine de boulangeries ainsi qu’une poignée de pâtissiers et de restaurateurs le nombre de professionnels impliqués dans la démarche en Pays basque. Herriko est une baguette traditionnelle niveau label rouge vendue en moyenne autour d’1,25 euros, parfois plus selon les boulangeries. La production annuelle de blé basque est aujourd’hui de 400 tonnes par an. C’était zéro il y a dix ans. « Notre objectif est d’aller à 500 tonnes annuelles », explique Mathilde Fert qui anime le Cluster Uztartu. « Il suffit de convaincre les agriculteurs de consacrer 3 hectares, 5 ou plus à cette diversification au blé », avance Emmanuel Recalde. Le juste prix pratiqué et l’état d’esprit collectif devraient faciliter ces conversions.

« Le réchauffement climatique requalifie nos terres pour la production de blé », constate Arnaud Etchegoyhen. On estime le chiffre d’affaires de cette filière Herriko à une vingtaine de millions d’euros aujourd’hui. Pour Philippe Bégards, c’est déjà 5 % de ses ventes. Le boulanger croit en cette marque territoriale patiemment relancée et envisage de dédier une de ses boutiques du centre de Bayonne à des produits 100 % basques avec sa baguette en tête de gondole. Les marges de progression existent. La farine représente environ 15 % du prix de la baguette (moins que les salaires ou l’énergie…)

Deux hommes en blanc autour d'un sac de farine et devant un pétrin

Le bel avenir de la filière

Certains industriels de l’agro-alimentaire sont déjà dans les starting-blocks. La biscuiterie artisanale Okina créée par Hervé Larouyère en 2004 est en forte croissance. Elle produit, non loin de Mauléon, avec ses 9 salariés des biscuits sucrés depuis l’origine et salés depuis 2013. C’est la volonté du fondateur de faire travailler les gens d’ici. Aujourd’hui la moitié de sa production est vendue dans les Pyrénées Atlantiques, le reste en France, via le groupement de producteurs « Saveurs des Pyrénées » et une petite partie à l’export. Depuis quatre ans, la biscuiterie a fait de cet approvisionnement en farine locale sa stratégie de marque. Mais les rendements encore irréguliers l’empêchent encore de l’afficher pleinement. « On ne peut pas encore tenir toute la promesse sur notre packaging », explique Hervé Boissinot , co-gérant. Cet ingénieur agro-alimentaire a longtemps travaillé chez Euralis. Il s’est pris de passion pour cette belle aventure collective au point d’être le co-président en exercice du cluster Uztartu. « Nous misons aussi sur tous les ingrédients locaux pour les fruits et les légumes de nos recettes, on pourrait aller plus loin », estime Hervé Boissinot. Il n’est pas basque mais voit lui aussi un bel avenir dans cette filière locale. Les circuits courts deviennent aujourd’hui tendance pour des raisons climatiques. Les promoteurs d’«Herriko Ogia » sont bien lancés. Ils ont eu raison avant tout le monde.

L'accompagnement régional

L'ensemble des acteurs de la filière du blé basque ont été accompagnés à des titres divers par la Région : soutien aux investissements de la société Okina ou Etché, promotion/communication de la filière Herriko ou encore développement agricole des filières de qualité et contrat de développement et de transition du Pays basque.